Arthur Auboeuf, décarboner la société sans oublier d’être heureux
Co-fondateur de Team for The Planet, nous avons demandé à Arthur Auboeuf de nous parler de son rapport au travail. Entre l’hyper-productivité qu’il hérite de la culture startup et ce besoin de ralentir, qu’il sait nécessaire pour préserver sa santé physique et mentale, l’équilibre est parfois difficile à trouver. D’autant plus, qu’avec Team for The Planet, ce projet d’envergure à fort impact sociétal, la tentation au sur-engagement est grande. Arthur raconte ce jeu d’équilibriste permanent dans le travail, pour œuvrer entre l’ancien et le nouveau monde, tout en y prenant du plaisir.
L’engagement pour la transition : déclic ou processus ?
Pour Arthur, son engagement s'est plutôt mis en place de manière progressive. “Je crois que c’est le cas chez tout le monde. Les changements sont progressifs et tu as des moments un peu charnières dans lesquels tu prends des décisions.” Du point de vue professionnel, c’est la dissonance de plus en plus accrue avec les années, qui l’a décidé à quitter son précédent emploi. “J’étais responsable Europe d’un réseau social américain. Faire danser des gamins sur une appli smartphone, ce n’est pas vraiment la consécration de l’utilité.” À ses questions concernant l’utilité de son travail, s’ajoute sa prise de conscience sur les enjeux écologiques, s’informant de plus en plus via les médias. “Plus tu es informé, plus la dissonance est forte” explique t-il, “car on est tous confrontés à un projet de société. Et aujourd’hui, le projet de société dominant, qui embauche le plus de monde, est un projet qui nous pousse vers la chute.” Pour Arthur, c’est donc ainsi que le processus a commencé : en lisant les rapports du GIEC et autres sources d’informations sur les conséquences du réchauffement climatique, il reconsidère son travail au quotidien.
Un témoin direct des changements
C’est dans le Jura, entouré de montagnes, qu’Arthur a passé son enfance et son adolescence. Il s’estime privilégié d’avoir grandi dans ce cadre. L’attention qu’il porte à la nature, en fait en revanche l’un des premiers spectateurs de sa dégradation. “Les épicéas qui meurent à cause du scolytes, des insectes qui détruisent les arbres, en particulier ceux déjà affaiblis par les sécheresses. Leur pouvoir de destruction est donc de plus en plus fort avec les sécheresses fréquentes liées au réchauffement climatique.” est un exemple qu’il donne. La forêt qui jaunit et l'absence fréquente de neige en montagne en sont aussi des conséquences, qu’il observe en comparant ces paysages à ceux de son enfance. “En voyant et en constatant sur le terrain, j’avais peut-être plus tendance à m’informer.” Puis en déroulant petit à petit la pelote de laine, il en arrive à ce constat : “il faut re-questionner le modèle de société à l’origine de ces dégâts. Un modèle que l’on voit depuis l’enfance comme étant la norme, le chemin à suivre, comme s’il n’y en avait pas d’autres.” Ainsi, pour lui, lorsqu’il s’agit de se poser des questions professionnelles, nous devrions commencer par nous demander : “est-ce que je consacre des années à construire le monde qui me fait vraiment rêver ?”
“Je ne veux plus faire un truc qui ne sert à rien.”
S’il précise que son changement de voie professionnelle a été un processus, Arthur parle tout de même d’un moment précis l’ayant marqué. Tandis qu’il était plongé dans un paysage qu’il connaît bien dans le Jura, il se souvient avoir ressenti “Une plénitude. Un profond bonheur”. Cette sensation de bien-être l’amène à ce rêve : ”je vais consacrer ma vie à ce que l’humain est un autre rapport à la nature. Un rapport plus protecteur, plus respectueux.” “Il y a des moments charnières où tu prends des décisions”, exprime t-il un peu plus haut dans cet article. Ce fut l’un de ces moments, et il lui fallait trouver un projet allant dans ce sens. “J’étais dans une phase dans laquelle professionnellement je questionnais ce que je faisais au quotidien, et en même temps, je voyais la puissance qu’avait la boîte pour laquelle je travaillais.” Triller, avait en effet levé 300 millions d’euros en 2 ans et comptait 100 millions d’utilisateurs. Cette puissance le questionne : “À quoi sert ce pouvoir ?” Pour lui, une chose est sûre, pouvoir ou pas, il ne veut plus exercer “un métier qui ne sert à rien”. Début 2019, il quitte l’entreprise Triller, tandis qu’on lui propose un poste payé 10 000€ par mois. “J’ai su que j’avais fait mon choix de vie quand cette proposition ne m’a pas intéressée. C’était tellement agréable de refuser une offre comme celle-ci et je me suis dis : là, tu es tellement le vrai Arthur.” Il n’avait pourtant aucune idée de ce qu'il allait faire, mais il avait déjà cette certitude : “il était revenu sur son chemin”.
“Être très productif pour être utile, dans une phase de transition, pourquoi pas.”
Productivité et décroissance : une question de balance
Aujourd’hui co-fondateur de Team for The Planet, entre ces deux notions que sont la productivité et la décroissance au travail, Arthur se considère dans un entre deux. “Être productif me permet d'accomplir de belles choses quand je suis utile et au service du beau. Et, j’ai aussi besoin de préserver mon temps libre pour vivre plus de moments dans la nature.” Avec le temps, les lectures et les rencontres, comme celle avec l’économiste Timothée Parrique, il réalise pourtant que la vraie voie à suivre est de ralentir. “Défendre ça, en courant comme un connard entre 2 open space avec un ordi ouvert et un téléphone dans la main droite, c’est débile. Sur ça, je suis encore en dissonance cognitive car j’en suis encore victime, mais je suis obligé de jouer sur le terrain comme il est.” Entre deux mondes, nous avons encore un pied dans le vieux et un autre dans le nouveau. Pour lui, aller d’un coup vers le nouveau monde revient à disparaître ou ne pas avoir beaucoup d’impact. C’est donc “un numéro d’équilibriste” pour jongler entre les deux. Ce qui est sûr, et il l’exprime dans son livre, qui sortira en 2024, c’est qu’il a beaucoup déconstruit la logique de l’agent économique optimisé, “qui produit et consomme toujours plus, le plus vite possible, pour faire du PIB qui à la fin, ne sert pas le bien être, le bonheur, le sens, la santé mentale…” Pour Arthur, cette question de l’hyper productivité au travail, qui découle sur nos modes de vie, est donc forcément à questionner.
“Maintenant j’écoute mon corps à 100% : ce n’est pas anecdotique d’avoir mal au dos, de l'eczéma…”
Son burn out pendant Team for the Planet
Comme beaucoup, Arthur a connu une situation d’épuisement physique et psychologique. Pour lui, ce burn out était lié à plusieurs facteurs. En premier, celui de la dissonance entre cette conviction d’un “besoin de ralentir” et des charges mentales intenses pour lancer à 6, un projet d’envergure tel que Team for the Planet (connu sous le nom de Time for the Planet à son lancement). “Pendant longtemps, je considérais que je travaillerai jusqu' à la limite du seuil d’acceptabilité de mon cerveau et de mon corps.” Même si cette méthode a bien fonctionné un temps, le burn out lui fait réaliser qu’il parvenait à maintenir la cadence car il avait eu la chance de ne pas avoir vécu d’autres difficultés. Or, un enchaînement de situations personnelles que nous sommes tous susceptibles de vivre (AVC d’un membre de sa famille, rupture amoureuse…) impactent grandement sa vie professionnelle : “Et là, tu n’as pas de marge de manœuvre” dit-il. La chose la plus importante qu’il apprend avec ce burn out, c’est que notre corps nous parle très clairement : “il a la capacité de nous dire quand il y a des choses qui ne vont pas et qu’on ne veut pas regarder, conscientiser…Maintenant j’écoute mon corps à 100% : ce n’est pas anecdotique d’avoir mal au dos, de l'eczéma…” Lui, a perdu sa barbe, qui n’a d’ailleurs jamais arrêté de tomber. Et, il sait qu'il y a encore trop d’intensité dans son quotidien.
Changer sa manière de travailler pour éviter la rechute et pour rayonner
Pour ne pas retomber dans les pièges des “bonnes vieilles habitudes” qui risquent d’amener le burn out à se reproduire, Arthur dit avoir “re-sanctuarisé les choses…Avant je travaillais les week-end et désormais personne ne me fait travailler le week-end… J’ai aussi sanctuarisé les pauses déjeuner, c’est une soupape, ça fait du bien, avant je mangeais devant mon ordinateur. Je termine chaque jour à 18h, alors qu’avant je pouvais bosser jusqu’à 1h du mat’.” Il a aussi repris la lecture, une façon pour lui de se détendre et de calmer son hyperactivité. Le plus gros changement, c’est son lieu de vie et sa proximité fréquente avec la nature : “j’ai trouvé un endroit pour vivre dans les montagnes et en allant là-bas, ça me permet de complètement me couper de Paris et du travail.” Il remarque d’ailleurs que le fait de prendre soin de soi a des effets positifs sur le travail. “Quand tu tires sur la corde le soir au bureau, tu vas être fatigué, presque gris, ça n’améliore pas tellement ton efficacité. Quand tu respires la joie de vivre, les choses s’ouvrent à toi plus facilement, car à la fin tout n’est qu’humain.”
Un travail qui donne de l’énergie plus qu’il n’en prend
Impossible qu’un travail donne toujours de l’énergie pour Arthur. Pour autant, la meilleure façon de ne pas s’épuiser est pour lui d’exercer son métier en étant sincère : “l’un des enjeux est de rester sincère et non d’essayer de convaincre quelqu’un à n’importe quel prix du chemin à suivre absolument”. Rester aligné, en choisissant des projets cohérents, évite aussi de perdre inutilement de l’énergie. C’est d’ailleurs cet alignement qui lui en fait gagner le plus. L’aspect financier, pour faire tourner la boutique, c’est peut être ça, le plus usant pour Arthur. “Après, dans l’équipe on est aussi en mode kiffeur, on ne veut pas être des types minés par l’écologie. On essaie de garder ce qui nous stimule et nous donne de l’énergie et d’écarter ce qui nous aspire. On accepte de ne pas être parfaits, mais de faire ce qui nous fait tenir sur la durée.” Quelque chose qui l’aide aussi à ne pas s’épuiser, est d’accepter que d’autres aient un point de vue différent : “même les climatosceptiques ont le droit de penser autrement, de venir d’un autre horizon, d’en être là où ils en sont aujourd’hui”, précise-t-il. Il ajoute que “changer soi est déjà un vrai travail et c’est un travail gratifiant !” Pour lui, qui respecte les militants, sans pour autant en être un, il faut aligner ses engagements avec qui l’on est. “Si tu joues un rôle, si tu essaies d’être une version de toi qui ne te correspond pas, ça va juste exploser.”
Déconstruire sa vision de la réussite
Ayant longtemps eu une idée précise de ce qu’il mettait derrière le mot “réussite”, faire sa transition vers un métier dans l’écologie signifiait pour Arthur deux choses : “ je vais travailler bénévolement pendant 2 ans, et en plus être détesté.” Lorsqu’il se lance dans le projet Team for The Planet, en effet, il se rend bien compte qu'il est passé du “mec cool au tocard”, auprès de ses amis, de ses anciens collègues de startup, et même auprès de personnes inconnues : “quand je prends des covoits en blablacar et que je dis que je bosse dans l’écologie, il y a souvent un froid dans la voiture… Inutile de mettre la clim !” D’ailleurs, (⚠ bon à savoir pour ceux qui seraient confrontés à ce problème !) il précise qu’il ne fait pas face aux mêmes réactions lorsqu’il dit : “je participe à la décarbonation”, plutôt que : “je travaille dans l’écologie.” Selon Arthur, il l’espère en tout cas, “peut être que les figures de réussite entrepreneuriales dans 15 ans, seront des personnes qui seront utiles.” Il sait qu’il est en tout cas nécessaire de “déconstruire ce schéma carriériste, capitaliste”. Pour l’avoir déconstruit lui-même, il ajoute que “ce n’est pas dangereux, ni grave de le faire.”
Être heureux et écolo ?
“Et si le futur faisait envie ?”, est le titre du livre qu’Arthur va prochainement sortir. Ce qu’il entend par être heureux, n’a rien à voir avec la vision “marketée du terme, qu’on nous vend à longueur de journée via des pubs et sur instagram.” Il parle du bonheur dans une dimension, non de surface, mais plus profonde : “quand tu cherches à être plus heureux, très vite tu déconstruis un certain nombre de choses, comme l’hyper consommation, le fait de vouloir aller vite, loin… Tu déconstruis des pans entiers de mécanique et en fait tu te rends compte que tu deviens écolo, sans avoir prévu de l’être.” C’est ce qui lui est arrivé lorsqu’il comprend que “sur-posséder l’esclavasige et qu’il a besoin de s’alléger”. La déconstruction, certes, est difficile et il précise à nouveau cette chance d’expérimenter la vie proche de la nature, qui lui fait prendre conscience qu’il a besoin de peu, pour se sentir bien. “C’est dur de te dire ça, quand tu te balades en ville, qu’il y a des vitrines partout, que tu es surexposé, avec des stimulations publicitaires à longueur de journée. C’est dur dans ces cas, de se dire que le bonheur ce n’est pas d’avoir une grande maison, une belle voiture et de posséder plein de trucs.”
Le travail comme levier de la transition écologique et sociale
Il le redit, “comme le projet de société de l’humanité est alimenté par la force de travail de l’humain” pour Arthur, le travail “c’est le levier principal” de cette transition. “Chaque jour, le projet dominant est celui qui embauche le plus de personnes sur terre. Donc si plus de monde est embauché pour travailler pour le monde de demain, c’est le monde de demain qui va gagner.” Le travail est donc le levier numéro 1 de la transformation du monde en fonction de nos choix de société. Aujourd’hui, pourtant, ce qui génère le plus d’argent et qui permet d’embaucher massivement, c’est ce qui respecte le moins les écosystèmes et les droits sociaux.
Et moins travailler alors ?
De son point de vue, il faut travailler pour ce qui est utile dans ce projet de transition écologique, donc, forcément, “il y a plein d’activités qui doivent s’arrêter. Quand tu réfléchis aussi à ce qui sert nos besoins premiers, oui, tu peux aussi supprimer quelques emplois.” Pour Arthur, il faut aussi reconsidérer la notion de présentéisme et se questionner sur le temps de travail dont on a vraiment besoin. On pourrait avoir un monde plus juste et équitable en travaillant moins, si on se dirige vers quelque chose de vraiment utile, qui fait vraiment sens. A titre individuel, nous pourrions décider de moins travailler, mais pour lui, il y a cette notion de méritocratie qui est en chacun de nous depuis l’enfance : “il faut bosser pour réussir sa vie”, “un bon gars, c’est un gars qui bosse”, des phrases qu’il a par exemple entendu. Des injonctions qui entretiennent le système capitalistique. Et puis, il y a aussi les autres, qui génèrent sans cesse ce sentiment de culpabilité de ne pas en faire assez au travail “des gens comptes sur toi”, “si tu es dirigeant.e d’entreprise, tu as des employés qui bossent, donc tu ne peux pas te la couler douce alors que les autres se donnent.” Pourtant il remarque que penser comme cela est un cercle vicieux, car alors “tu travailles plus, les autres te voient, et font la même chose. Donc tu ne t’en sors pas.” Sa solution à lui est d’assumer de plus en plus de faire des pauses, en lançant à ses collègues “je vais faire une pause vélo” par exemple. S’entourer de personnes en capacité de comprendre la nécessité de couper, est aussi très important pour lui.
Pour aller plus loin
👉 Girl Go Green : parcours d'une ancienne matrixée du système
Passer à l'action
👉 Trouver un emploi à impact positif
👉 Se former aux métiers de la transition écologique et sociale