Guide de la reconversion professionnelle

Comment savoir s'il faut bifurquer ?

C’est la grande question que beaucoup de lecteurs se posent. Pour me présenter, tout d’abord, j’enseigne le management à Centrale Supélec et je suis fondateur d’une école spécialisée dans le changement de vie professionnelle. Ce qui t’explique pourquoi j’entends très souvent cette question : « Comment savoir s’il faut bifurquer ? » parmi mes élèves dans cette école d’ingénieurs, et bien entendu parmi les stagiaires de l’Ecole Primaveras.

 

Pour commencer, le profil des personnes qui me renvoient cette interrogation est une constante : ce sont des étudiants ou des actifs qui ressentent une forte adhésion à la cause environnementale. Ils sont « en quête de sens » comment on dit, mais dans le « sens » d’une aspiration très forte à être un acteur de la transition écologique. Je pourrai même dire que cette aspiration est si forte qu’elle se traduit pour eux par une injonction à trouver forcément un travail qui participe concrètement à changer le monde, « à agir pour sauver la planète » comme ils le disent eux-mêmes. Mais cette injonction aura son paradoxe : elle supposerait de renoncer à son diplôme ou à son métier, voire à un travail que finalement on apprécie… tu te reconnais sans doute dans ce dilemme !

 

S’il y a question, c’est qu’il y a doute !

Alors, quel est le problème ? On pourrait répondre en effet que la solution est facile, qu’il suffit de trouver un travail dans l’ESS ou dans des métiers directement impliqués dans la transition écologique, … bref, si vous avez envie d’agir pour le climat, et bien bifurquez donc ! Et pourtant … s’il y a question, c’est qu’il y a doute.

 

C’est d’ailleurs pour cette raison que certains jeunes - et moins jeunes - ne se posent pas cette question : car pour eux, la réponse relève de l’évidence, il faut bifurquer ! C’est le cas de Camille, parmi mes élèves, hyper engagée pour la transition climatique au sein des associations de l’école qui me dit tout net : « Je ne travaillerai pas dans une activité qui pollue de près ou de loin, je veux m’engager pour le climat, quitte à sortir de la voie toute tracée par Centrale ». Une position qui l’amènera à s’orienter vers des ONG militantes pour le climat en tant que chargée de projet. Pas l’ombre d’un doute chez Camille.

 

Mais pour tous les autres qui expriment cette alternative : « bifurquer or not bifurquer ? » telle est leur question. Je constate que la réponse n’est pas claire car il y a chez ces personnes des résistances fortes à tout changer, sa trajectoire, son orientation, sa carrière voire son confort … des résistances qui sont au moins aussi importantes que la motivation pour changer le système : perte de compétences, perte de reconnaissance, perte d’influence, voire perte de revenus …. du moins en théorie !

 

Deux réponses possibles : l’une est radicale, l’autre est modérée !

Je partagerai ici les deux réponses possibles pour les avoir expérimentées auprès de nombreux profils.

La réponse tranchée : si tu t’interroges, c’est que tu as finalement déjà commencé à bifurquer ! La seule incertitude qui demeurerait pour toi, c’est de trouver l’environnement de travail qui va te permettre de traduire ton engagement dans un rôle qui répond à tes aspirations.

Le conseil est alors de suivre radicalement le chemin de cet engagement en considérant que tu vas bifurquer. Cela suppose donc de persévérer, de se lancer dans la recherche de tout type de structure qui gravite dans la transition écologique et sociale. Ce faisant, tu te rapprocheras pas à pas du contexte qui va te parler le plus : soit un type de finalité (réduction des déchets), soit un contexte (une start up), ou encore un type de métier (et suivre une formation). C’est le cas de Pauline qui était chargée d’affaires dans une entreprise de prestations de maintenance dans le bâtiment dans laquelle tout se passait bien pour elle. Sauf que son désir d’agir plus concrètement sur des enjeux de société était tel qu’elle a fini par se résoudre à quitter son entreprise et son métier. « C’est quand j’ai croisé le chemin de mon futur employeur, une association de l’économie circulaire, que je me suis décidée » expliquera t’elle. « Tout à fait par hasard, grâce à cette rencontre dans une conférence débat, j’ai compris qu’ils avaient, dans leur activité, besoin de compétences comme les miennes. Alors j’ai sauté le pas sans hésiter, …. même si ma famille a été consternée de ma décision ! » conclut t’elle en souriant. « J’ai longtemps hésité, mais aujourd’hui, je ne regrette rien, même pas d’avoir perdu en salaire ».

L’exemple de Pauline est bien illustratif de ses convictions qui l’emportent sur de nombreux critères. Il lui suffisait donc de se lancer dans la recherche de changement radical, de se mettre en mouvement, pour provoquer la concrétisation de ses aspirations !

 

Bifurquer ou ne pas bifurquer : Quelle est la bonne question ?

La réponse nuancée serait ensuite la suivante : si tu t’interroges, c’est que tu as besoin de plus que le seul critère « de l’impact » dans ton travail et que tu dois donc dépasser cette dualité simpliste entre travail à impact visible et travail classique sans impact.

Voici l’exemple de Tarik qui est passionné par les métiers de la recherche mais qui aimerait vraiment bien travailler pour la transition énergétique. Tiraillé par ce dilemme, il se décidera finalement à accepter un contrat chez un grand groupe de l’énergie, au sein d’un département R&D qui lui propose de participer à des projets dans le développement d’optimisations des consommations énergétiques des bâtiments. D’un côté, il sait qu’il rejoint un acteur de la production carbonée mais l’importance qu’il accorde au métier de chercheur ne lui permet pas selon lui de s’en écarter. C’est pour combiner cette double motivation qu’il fait ce choix. Il doit trouver une traduction qui concilie ses deux critères importants pour lui … quitte à accepter des compromis finalement !

De mon point de vue, Tarik ressemble à beaucoup de cas que je peux croiser, animés par cette volonté de trouver un emploi qui coche des cases différentes, et en apparence contradictoires. Si tu ressens ce tiraillement, ou si tu te dis que tu aimerais réunir l’une et l’autre de tes attentes, alors la bonne démarche consistera forcément à ne rien écarter à priori. C’est sans doute ce qu’il y a de plus délicat : accepter qu’il n’y a pas de réponse évidente et simple.

Alors pour rendre ce tourment probable plus confortable à vivre, j’invite souvent mes propres élèves à regarder le côté positif de la chose. Ce côté positif, c’est la faculté de choisir. En effet, quand on a fait des études, on a tous conscience que ça laisse le choix de son orientation, et notamment de se poser cette question « Bifurquer ou ne pas bifurquer ? ». Ce serait selon moi une chance, un atout, voire un luxe vu de certains, que de pouvoir se poser cette question, ce qui permet de la rendre plus supportable … !

 

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