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Martin - Gérant d’association low tech et salarié à mi-temps

“En tant qu’individu, j’ai tendance à me révolter facilement quand je suis face à une injustice et le sujet du climat est une injustice immense.” Après une école d’ingénieur, Martin commence à travailler dans le secteur automobile. Il rentre vite en dissonance dans son métier et décide de “basculer” une première, puis une deuxième fois. Assez vite, il s’intéresse au monde des low tech et lance un projet associatif dans ce secteur en mars 2021. Il raconte son parcours…

La low tech, kezako ? 

Fabriquer soi-même ses éoliennes, pédaler pour créer de l’énergie, conserver des produits via la lacto fermentation… La low tech est une démarche qui vise à répondre aux besoins essentiels des humains, de la façon la plus simple possible. Martin précise qu’elle repose  sur 3 piliers : l’utile, l’accessible et le durable. L’utile revient à répondre aux besoins essentiels. L’accessible, c’est être capable de s’approprier des techniques simples et de les transmettre. La durabilité, vise quant à elle, à utiliser des ressources locales et à considérer le cycle de vie du produit. La démarche low tech vise enfin à réfléchir au projet de société globale au lancement d’un produit : à l’échelle d’un quartier, d’une ville, d’une région.

Première bascule

Avant de démarrer ses études, Martin ne se projetait pas en tant qu’ingénieur. Il suit un DUT en génie électronique informatique et industriel à Montpellier, puis une licence en électricité. “J’ai un profil geek et j'ai envie de comprendre comment les choses que j’utilise au quotidien fonctionnent. Et ça, c’est un point de départ pour tout le reste.” Après la licence, il rejoint finalement une école d’ingénieur À l’UTBM (l’Université de technologie de Belfort Montbéliard), avec un cursus en électronique et systèmes embarqués. Mais il sent déjà de premières dissonances… “On était formé à fabriquer des voitures électriques et des systèmes d’énergies renouvelables. Déjà, à ce moment-là, je pensais que ce n’était pas cohérent, car on restait sur le modèle des voitures individuelles. Je ne le voyais pas comme une solution d’avenir.” Les métiers qu’on lui  propose après l’école semblent aussi peu cohérents avec les enjeux écologiques et sociaux. “J’ai fait un stage dans l’automobile car c’est vers là que m'emmenait ce diplôme. Puis chez le premier équipementier automobile, Bosch Engineering, pendant 7 mois en Allemagne.” Au bout de 4 mois, il pose son préavis. “Je travaillais sur les systèmes de Park Assist et je considérais que tout l’argent qu’on mettait là dedans n’avait aucun intérêt par rapport aux enjeux qu’on avait déjà depuis une trentaine d’années. On était très bien rémunérés mais pour moi c’était important d’être cohérent vis-à-vis de mes valeurs. Sinon j’étais malheureux. Ça a été la première bascule : dire non au confort, à l’argent et à tout ce qui allait avec.” 

“On était très bien rémunérés, mais pour moi c’était important d’être cohérent vis à vis de mes valeurs. Sinon j’étais malheureux.”

“J’ai commencé à me forger un esprit critique sur mon métier”

Après avoir tourné cette première page, Martin emménage à Nantes, avec sa compagne en 2015. Il candidate alors pour des start-ups et des petites entreprises. “J’ai été pris dans une startup dans la domotique, je voyais déjà plus de sens. Je n’ai cependant pas été retenu après la période d’essai.” Le coup est dur à encaisser pour Martin, qui entre dans une période de chômage. Il profite toutefois de ce temps de pause pour s’intéresser à des structures plus engagées, notamment à la démarche low tech. “Le low tech lab venait tout juste d’être co-fondé à Concarneau en 2014.” Corentin de Chatelperron, le co-fondateur, l’inspire. En 2010, cet ancien ingénieur fonde un projet engagé : le Jute Lab au Bangladesh, pour tester l’usage de la fibre de jute. “Cette ressource locale, permettait de construire les coques de bâteau.” En plus de cette découverte, Martin commence à se forger un esprit critique sur son métier : “j’ai commencé à me poser des questions sur la technologie comme réponse à tous nos besoins. J’ai aussi lu le livre de Philippe Bihouix : l’âge des low-tech, puis de la philosophie, ce qui m’a permis de me poser des questions.” 

Un Permis Vacances-Travail au Canada 

Pendant sa période de chômage, il décide aussi de partir seul pendant 1 an, au Canada. “J’ai fait beaucoup de wwoofing, j’ai découvert une autre culture en vivant dans des familles canadiennes. C’est aussi là-bas que j’ai commencé à peaufiner le côté low tech.” Après ses expériences, pour lui, revenir en France signifiait : exercer un métier qui ait du sens. 

“Tu n’as plus l’impression d’être en déphasage car les personnes pensent la même chose que toi.”

Un Hackathon

En rentrant en France, il reste dans l’action et fait un hackathon low tech à Rennes. Tous les cofondateurs du low tech lab et les personnes qui gravitent autour du projet low tech étaient présents. “Il dura 2 jours et l’idée était de travailler sur l’éolienne et le four solaire, en suivant un tutoriel. Il fallait être capable, en groupe, de recréer ces objets en un week-end, et d’avoir un regard critique sur les tutos pour les améliorer.” Ce qui rend l’expérience d’autant plus agréable, c’est le sentiment d’être entouré de personnes aussi passionnées que lui par ces sujets. “Pendant l’espace d’un week-end, tu n’as plus l’impression d’être en déphasage car les personnes pensent la même chose que toi”, explique Martin.

“J’ai mis mes compétences au service de l’Ifremer pendant 5 ans”

Puis, il candidate et est recruté à l’Ifremer (l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), à Brest. Son métier consiste à travailler sur les mesures de température et de salinité sur tous les océans de la planète. “Sur ce poste, je considérai que j’atteignais le summum de ce que pouvait faire en tant qu'ingénieur : participer à la recherche, travailler sur les questions du climat, car les balises mesures les impacts du réchauffement climatique sur les océans.” Être accepté sur ce poste est une belle opportunité, sur laquelle il se concentre, en laissant alors de côté la low tech et son côté plus militant. Au moins pour quelque temps… “J’ai mis mes compétences au service de l’Ifremer pendant 5 ans. Ce que je retiens dans ce parcours c’est que même dans des grosses boîtes, tu peux avoir des équipes dans lesquelles tu t’épanouies, mais ces choses là sont temporaires.” Des changements d’équipe, rendant le travail moins stimulant et le fait de se rendre compte du peu d’impact qu’il avait dans son métier, l’ont mené au burn out. “Je me suis fait accompagner en allant voir une psychologue. Puis, j’ai négocié une rupture conventionnelle et je suis parti.”

L’association Low Tech Lab à Brest

Grâce à une rupture conventionnelle obtenue, qui lui permet de toucher le chômage, cette fois, il se lance et fonde l’association low tech à Brest. “Nous avons co-créé l’association à 3, Hugo, qui travaille dans l’entreprise dans laquelle je travaille également, et Mathieu, salarié chez Naval Group.” Depuis 2019, un programme communautaire accompagne les acteurs locaux à monter des communautés low tech locales. Cet outil lui donne confiance et lui permet de créer son association. Depuis  ans, “Le projet à bien pris sur Brest”, Martin est satisfait. En revanche, il précise qu’il y a mis “une énergie complètement délirante.” Avec du recul, il sait que son erreur a peut-être été de vouloir faire beaucoup et vite. “Quand on se lance dans un projet de groupe, il faut accepter l’inertie d’un projet collectif, sinon on porte tout sur ses épaules. C’est ce qu’il s’est passé pour moi.” 

Un mi-temps pour retrouver l’équilibre

Les anciens collègues peuvent être d’une aide précieuse… Un ancien sous-traitant de l’Ifremer, ayant lancé son entreprise en 2022, propose un poste à Martin. Sur le projet low tech, celui-ci refuse d’abord. Mais lorsqu’il revient vers lui en 2023 pour lui proposer un mi-temps, Martin accepte. “Je considère que je n’ai pas la capacité d’aller chercher assez d’argent pour gérer l’association et en discutant avec les gens de l’association, nous nous sommes mis d’accord pour être bénévoles.” L’entreprise, qu’il intègre à mi-temps, reste d’ailleurs en lien avec ses valeurs puisqu’elle a créé un répulsif à Dauphin pour éviter les pêches accidentelles. L’entreprise a en plus un intérêt à embaucher Martin, qui en interne travaille sur la mise en pratique de la démarche low-tech dans un cadre professionnel, autour de la question des déchets, de la mise en place d’une flotte de vélos électriques, de vélos cargos, à partager entre les salariés de l'entreprise, de la crèche et de la croix rouge (qui sont dans le même bâtiment). “A l'heure où les salariés recherchent des entreprises engagées, c'est doublement intéressant pour mon employeur afin d'agir et de se démarquer des concurrents.” précise Martin.

Être papa et concevoir le monde d’une autre façon

Un dernier mot de Martin porte sur ses responsabilités, en tant que papa depuis 5 ans. “Quand tu es parent, tu ne fonctionne plus que pour toi ou pour ton couple. D’une part, ça demande du temps. Mais tu as une responsabilité de malade par rapport à ce que tu laisses en héritage.” Si le chemin n’a pas toujours été simple, agir dans son quotidien et dans son travail, est pour lui un devoir vis-à-vis de cet être humain qu’il a mis au monde. “Je ne me vois pas dans 10 ou 20 ans, être face à mon enfant et dire :  je n’ai rien fait, j’osais pas, j’attendais une décision politique. Ce n’est pas possible.” Il ajoute que dans son “engagement, il y a un équilibre à trouver”, bien conscient que les prises de risques peuvent aussi avoir un impact sur son enfant.

5 conseils de Martin 

#1 Se poser des questions. 

À partir du moment où l’on se pose des questions, on est déjà sur la bonne voie. Ensuite il faut se demander ce qu’on fait de ce questionnement et ce qu’on met en place pour y répondre. 

#2 Dégager du temps

Pour se nourrir intellectuellement parlant et s’engager dans des actions plus militantes. La chance qu’on a en tant qu'ingénieur, c’est qu’on a des salaires très confortables. En travaillant 20% de moins, on reste très confortable.

#3 S’engager

En association, ou en commençant par proposer des choses dans son entreprise.

#4 Cultiver sa personnalité

Faire un travail sur soi et apprendre à se connaître c’est très important. À partir du moment où l’on est cohérent avec soi-même, les actions qu’on va mener vont être plus cohérentes. En plus, on attire plus facilement à soi des personnes qui sont alignées avec nos valeurs. 

#5 Expérimenter des choses

Ne pas avoir peur de l’inconnu. À partir du moment où l’on est dans l’action, des choses se débloquent.

En savoir plus sur la démarche low-tech

👉Film les bâtisseurs du monde d’après

👉Livre l’âge des low tech

Pour passer à l’action

👉 Retrouvez toutes les offres d’emploi, des témoignages, formations et articles inspirants sur ingesdavenir.org

👉 Trouver un emploi à impact positif

👉 Se former aux métiers de la transition écologique et sociale

Pour aller plus loin

👉 Olivier Lefebvre - "il est difficile de sortir de sa cage dorée"

👉 Bastien, ingé d’avenir - “je ne me vois pas me dire que je n’ai rien fait”