Arthur Gosset - Un ingénieur en rupture
Après AgroParisTech et l’Ensat, ce sont les anciens diplômés de Polytechnique qui appellent à ne pas suivre la marche des entreprises polluantes. En octobre 2023, ils se mobilisent lors du forum de leur école, où étaient présents des représentants de ces entreprises. Au même moment, avait lieu le forum Séisme Grand Ouest des métiers à impact à Rennes, organisé par Hélène Cloître et Arthur Gosset.
Nous avons rencontré Arthur, diplômé de Centrale Nantes. Il nous raconte son parcours de ses premières prises de conscience à Séisme, en passant par la création du documentaire Rupture(s) en 2018, où il présente ces jeunes qui tournent le dos à une voie toute tracée.
Qui est Arthur Gosset ? Pourquoi cet ingénieur a fait le choix d’être en rupture ? En quoi ses études l'aident t-il dans son engagement actuel ? Le micro à Arthur.🎤
Quand as-tu pris conscience des enjeux écologiques ?
“Déjà avant l’école d’ingénieur, j’étais impacté par la beauté, l’éblouissement de la nature et les animaux. J’étais d’ailleurs engagé pour la sauvegarde des mammifères marins. Pour autant, je ne comprenais pas tous les enjeux, ni ce qu’il se passait. D’un point de vue individuel, je continuais à avoir beaucoup d’incohérences, de voyager à droite à gauche, de consommer beaucoup. Je ne faisais pas le pont entre la sauvegarde de l’environnement et mon impact en tant qu’individu. J’avais plutôt une approche par la sensibilité et la beauté. En 2017, je commence à prendre conscience des enjeux écologiques, notamment par l’approche scientifique. Pour moi, il faut alors en parler.”
Par quel bout as-tu pris le problème ?
“Pour moi, il fallait en parler dans les écoles. Alors, avec deux amis, on a co-fondé l’association Together for Earth, pour sensibiliser et mobiliser les administrations des écoles et les étudiant·e·s autour des questions environnementales. Le but était de faire des ponts inter-écoles (de commerce, d’ingénieurs, sciences Po…). Pour citer quelques actions : il y avait des ramassages de déchets ou des ateliers autour de la systémie par exemple. En 1 an et demi, on a eu une cinquantaine de pôles en France, dans différentes écoles. On se rassemblait deux fois par an entre étudiant·e·s ambassadeur·ice·s.”
Que t’a apporté ton engagement associatif ?
“Énormément. Je dois 80% de ce que j’ai à mon engagement associatif. Au-delà de s’informer et de se former ensemble, avec les étudiants ambassadeurs de Together For Earth, on s’alimentait les uns, les autres. Ce collectif était puissant ! Chacun lisait des rapports, regardait des vidéos, assistait à des conférences… Mon engagement m’a apporté une conscientisation des enjeux et des manières de s’engager. Et puis, je n’étais pas seul. Quand tu prends conscience dans ton coin du problème, tu peux te retrouver un peu seul.e, mais l’engagement associatif permet de contrer ça. Et puis, en parallèle de Together for Earth, en 2018, d'autres collectifs se montent, comme Le manifeste étudiant Pour Un Réveil Écologique, avec lequel on a aussi travaillé.”
Après 2 ans à Centrale Nantes, Arthur prend une année de césure. Il se dit qu’il a le choix entre continuer avec Together for Earth, ou explorer d’autres manières de s’engager. Il a 1 an devant lui, il peut faire ce qu’il veut. Une chance, qu’il saisit pour réaliser un documentaire sur la quête de sens et d’impact des jeunes diplômés : Rupture(s).
Après Rupture(s), que s’est-il passé ?
“En parallèle de ma dernière année d'études, réalisée en Angleterre, je monte le documentaire. Pendant cette année, je me spécialise en génie environnemental pour étudier la gestion de l’impact de l’Homme sur son environnement (gestion de l’eau, des déchets…). Puis le film sort en septembre 2021, et avec Hélène, ma compagne et partenaire sur le projet de documentaire, nous avons fait une tournée d’1 an et demi pour aller diffuser Rupture(s) en France. Après ce projet, on fonde l’association Séisme, pour continuer de s’engager sur ces sujets. Notre angle d’attaque est de répondre à ce problème : comment s’engager concrètement dans son travail, et ce, quelle que soit sa formation ? La première étape, via Séisme, a alors été de fonder un forum des métiers à impact pour contrer les forums de recrutement traditionnels dans les écoles, présentant surtout des grands groupes qui font du greenwashing à tout va.”
Qu’en est-il de tes études d’ingénieur ? Qu’en fais-tu ?
“Mes années d’études m'ont beaucoup appris pour appréhender le monde. Toutes ces compétences que j’ai apprises lors de mon Master en génie environnemental me servent aujourd’hui. Être ingénieur, c’est une manière de réfléchir. Tu as été formé à réfléchir de manière systémique aux problèmes qui existent et l’idée est de comprendre comment tu vas trouver une solution. Je me demande comment je peux changer les choses, en essayant toujours d’avoir cette réflexion systémique de l’urgence écologique. J’ai donc toujours cette posture de l’ingénieur, même si je ne l’exerce pas du point de vue technique.”
Tu sembles ne pas aimer entrer dans des cases ? Vrai ou Faux ?
“Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose mais, oui, je ne veux pas rentrer dans des cases. Le système tourne très bien car il y a ce brainwashing qu’ont les entreprises. Toute une culture est conçue pour que tu sois convaincu·e que ce que tu fais est super. Même s’il y a ce truc de vouloir changer les choses de l’intérieur, si tu n’arrives pas au quotidien à te requestionner face à la place que tu as dans cette structure et à ce qu’elle représente, tu peux vite tomber dans cette culture d’entreprise, qui va te convaincre que ce que tu fais c’est bien. La question de notre deuxième documentaire est justement de poser la question : “Peut-on changer les choses de l'intérieur ?” Pour l’instant, la réponse est hyper complexe… Tout n’est pas noir ou blanc.”
Comment faites-vous financièrement avec Hélène ?
“Quand le film est sorti, on a vécu au jour le jour avec la tournée. On a pu se rémunérer comme ça. On a pu mettre de côté et vivre les premiers mois de la création de l’association. En parallèle de l’asso, on a mené un autre projet pour gagner de l’argent, qui est de travailler sur des formations à destination des chercheurs d’emploi pour les former aux enjeux écologiques. C’est à la fois une formation et un test pour tester les compétences des personnes sur leurs connaissances écologiques. L’idée est que ça permette aux entreprises de recruter par exemple des ingénieurs ayant des compétences pointues sur ces sujets. Concrètement, aujourd’hui, c’est un peu tendu, mais je ne m’inquiète pas trop, car j’ai mon diplôme. Si ce n’est pas nous, privilégiés, qui avons des diplômes, qui osons sortir des sentiers battus, qui le ferait ? Quand tu as un diplôme reconnu, tu as une liberté d’esprit, tu peux te permettre des choses. Je le fais pour moi mais aussi parce que je sens que j’ai une énorme responsabilité. J’ai une chance énorme d’être né dans ma famille, d’un milieu CSP+. J’ai grandi avec une cuillère en argent dans la bouche. Si je n’ose pas changer faire bouger les choses à mon échelle, qui d’autre ?”
En quoi ce que tu fais aujourd’hui a du sens pour toi ?
“Il y a des moments où je suis en plein questionnement et je doute énormément de moi-même. Après un événement comme le Forum Séisme, j’entends les retours, les retombées et je me dis que j’ai fait quelque chose d’utile. Selon moi, il y a une urgence énorme à ce que les personnes bifurquent vers l’impact. Si demain, on est collectivement plus nombreux·se·s à mettre nos compétences et savoir-faire à la construction d’une société plus juste et soutenable, on exercera une pression économique forte sur les entreprises actuelles. Alors bien sûr, il y a différentes actions possibles. J’ai choisi l’emploi. Il y a aussi la recherche, la politique, le militantisme. Pour moi, l'emploi est un moyen de pression économique, car si demain les entreprises ont du mal à recruter, ça veut dire que leur modèle économique ne peut pas être aussi rentable qu’elles le souhaitent. Donc là, elles vont se questionner, s’adapter ou mourir. C'est là que je trouve du sens. Si j’arrive à faire changer de regard à certaines personnes d’utiliser leur 100 000 heures de travail à autre chose, ce sera ça ma réussite.”
Tu doutes. Tu peux en parler ?
“Quand je vois des vidéos qui font des centaines de milliers de vues, adoptant les codes de l’hyper consommation, et qui sont si loin de ce qu’on souhaite transmettre, parfois ça me freine. Dans ces moments-là, je me dis : À quoi bon ? Ce sont des discours tellement antagonistes, des visions de la réussite si lointaine de ce qu’on veut essayer de pousser… À quoi bon lutter contre ses pensées ?
Le fait de douter, me permet en revanche de toujours me questionner sur ce que je fais et de l’endroit où je suis dans la société. “Suis-je à ma bonne place ?” “Est-ce que je ne peux pas aller dans un autre endroit ?” Ne pas douter, voudrait aussi dire “être convaincu de la manière dont on s'engage”, alors qu’on qu’on est dans un monde tellement mouvant. Le risque du doute peut te pousser à une forme d’insatisfaction permanente. Je me dis souvent “Tu peux toujours faire plus, face à l’urgence.”
Mais le doute est naturel et le fait d’en parler déconstruit énormément de choses. J’ai pas mal de potes autour de moi, qui ne se posent pas de questions et les voir me mets aussi de facto de côté. Je les vois construire plein de choses : acheter des apparts, mettre de l’argent de côté… ça crée un décalage. À côté, j'ai mes potes de l’engagement, et là je sais que je ne suis pas seul.
En t’engageant, à quoi as-tu renoncé ?
“J’ai renoncé à dédier mon temps et mon énergie à la destruction des sociétés, de la biodiversité, au creusement des inégalités, à l’enrichissement de certains individus au détriment d’autres. Forcément, il y a plein de choses dans mon quotidien qui font que je participe à ça. Je suis inséré dans l’économie donc j’y contribue, mais j’essaie qu’au moins 50% du temps que je passe au quotidien ait un impact positif.”
“J’ai renoncé à très bien gagner ma vie en ayant un job validé socialement, où en contrepartie on ne me demande pas de me poser trop de questions sur ce que je fais. Je ressens d’ailleurs, que je me suis ouvert beaucoup plus de portes versus les choses auxquelles j’ai renoncé. Au forum Séisme, toutes les rencontres faites, la joie qui en ressort, l’enthousiasme, l’espoir, le fait de se sentir utile, c’est tellement satisfaisant. J’essaie de faire ce que je peux.
“Par contre, je n’ai pas renoncé à mon diplôme. Ça m’apporte une sécurité mentale.”
Quels conseils peux-tu donner aux ingénieurs qui aimeraient et qui n’osent pas ?
“Se rappeler qui l’on est. Qu’est-ce que c’est que d’être ingénieur ? C’est l'élitisme. On est des privilégiés de part ces diplômes, quels que soient nos milieux d’origine. Ce diplôme vaut de l’or et c’est très rassurant de se dire ça. Sur le marché de l’emploi, ça ne sert à rien d’avoir peur en se disant que si on ne coche pas toutes les cases, on ne pourra pas avoir un bon métier. Pour moi ce qui compte, c’est les convictions, la motivation. Je sais que demain, si je veux travailler dans une station d’épuration, je suis sûr de trouver. Quand tu es ingénieur, tu l’es à vie. Encore une fois c’est une manière de voir les choses, et ça tu le gardes à vie.”
Quel est ton rapport à la réussite ?
“Contribuer au bien commun en ayant un équilibre personnel, ou tu peux passer du temps avec les personnes que tu aimes. Qui dit équilibre personnel, dit équilibre financier aussi.
Pour moi il y a une urgence à redéfinir les statuts sociaux et surtout les statuts vecteurs de réussite. Je suis plus admiratif de mon pote ingénieur qui est en train de bloquer la construction de l’A69 à Toulouse, qu’un autre pote qui, à 28 ans, manage 3000 personnes dans une entreprise automobile. D’un point de vue social, renverser la vision de la réussite, serait énorme.”
Comment tu te sens aujourd’hui ?
“Je me sens bien dans ce que je suis. Je sens que j’ai encore besoin de trouver ma place, mais je me sens bien.”
Pour passer à l’action
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Pour aller plus loin
👉 Tu peux visionner le film documentaire Rupture(s) sur la plateforme Spicee
👉 Olivier Lefebvre - "il est difficile de sortir de sa cage dorée"