Semaine de 4 jours - Les conseils de Laurent de la Clergerie pour l’appliquer
Laurent de la Clergerie est le patron d’une entreprise de high-tech et de matériel informatique lyonnaise, qui compte plus de 1000 salariés. Ces deux dernières années, il a fait beaucoup parler de lui, car il a osé passer à la semaine de 4 jours dans son entreprise. C’est un succès ! Vous êtes dirigeant.e ou RH ? Découvrez comment Laurent est passé de la réflexion à l’action, pour améliorer le bien-être de ses salariés en passant à la semaine de 4 jours.
D’où t’es venue cette idée de passer de 5 à 4 jours de travail ?
Il y a 5 ans, nous étions en bourse, et j’ai annoncé que dans 5 ans nous ferions un milliard de chiffre d’affaires. Puis je suis revenu sur cette décision en disant à mes équipes : “j’ai fait une connerie.” J’ai annoncé qu'on doublerait notre chiffre d’affaires, mais ma priorité n’était pas là. Ma priorité était d’améliorer leur bien-être. Et c’est parce que mes équipes se sentiront bien que les chiffres seront bons, plutôt que l’inverse. Le chiffre d’affaires ne devait donc pas être l’objectif à atteindre. J’ai alors entrepris un travail pour comprendre ce que je pouvais faire pour amener du bien-être dans les équipes.
Comment ce travail s’est-il mis en place par la suite ?
Par exemple, j’ai supprimé les commissions des commerciaux. Ils m’ont alors demandé quels étaient leurs objectifs. Je leur ai répondu : “vous n’avez plus d’objectifs. Comme vous travaillez pour la boîte et que nous avons tous le même objectif, le but est d’aller le plus loin possible.” Le souhait était qu’on travaille pour la boîte d’une part et pour le bien-être de l’autre, et je ne voulais pas qu’il puisse y avoir une pression liée à des objectifs à atteindre. Dans le débat avec les commerciaux, j’ai d’ailleurs fait une comparaison avec le jeu vidéo, en leur disant : “si vous donnez le meilleur de vous-même, je sais que les chiffres vont monter, car au fur et à mesure des parties vous progresserez.” Concernant la semaine de 4 jours, l’idée m’est venue en lisant un article dans lequel Microsoft avait testé cette nouvelle organisation au Japon. L’entreprise en a retiré beaucoup de choses positives, mais ne souhaitait pas reconduire l’expérience. Quand j’ai vu ça, je me suis demandé quelles seraient les conséquences de travailler en 4 jours chez LDLC. J’ai donc fait une simulation avec mon entreprise.
Qu’a donné la simulation ?
Je me suis imaginé que tout le monde passait en 4 jours. En gardant le même nombre d’heures, on passait donc à 9h. C’était trop et j’ai alors opté pour 8h de travail. Je n’ai pas touché au salaire, ça n’aurait pas fonctionné. De là, je me suis interrogé sur le coût. Abandonner 9% des heures de travail signifiait recruter de nouvelles personnes pour compenser. Dans le calcul du coût, j’avais les métiers pénibles pour lesquels la cadence de travail ne pouvait pas être modifiée. Les 9% d’heures étaient donc perdues. Ensuite il y avait les métiers à temps de présence, comme la relation client, qui dépendent des moments d’ouverture. Je ne pouvais pas les compenser. Et enfin, il y avait les métiers de bureau. Comme les bureaux comptent les plus hauts salaires, je me suis dit que ça me coûterait au pire 5% de la masse salariale en recrutement pour compenser les heures perdues. Je me suis dit que j’allais payer et voir.
Comment l’annonce des 4 jours a-t-elle été reçue par les salariés ?
J’ai attendu les négociations annuelles pour en parler. Personne n’était au courant, excepté mon frère, qui est directeur général et financier de l'entreprise. Nous l’avons communiqué après l’annonce de l'augmentation des salaires que nous avions maintenu. J’ai alors demandé aux salariés s’ils étaient d’accord pour travailler sur une semaine de 4 jours en 32 heures. Puis, il y a eu deux questions principales : quel sera l’impact sur les salaires ? Quelle sera la durée du test ? J’ai répondu que ça n’était pas un test, mais une décision définitive. Je savais combien cela me coûterait au pire, et pour le reste, je me suis dit que je verrai bien.
Quelles ont été les craintes exprimées par les salariés ?
“Je n’arrive pas à faire mon boulot en 5 jours donc la semaine de 4 jours ne s’applique pas avec moi.” Ce à quoi j’ai répondu qu’il fallait tester, et que, si ça ne fonctionnait pas, c’est qu’il faudrait apprendre à déléguer.
“Comment on va faire des plannings en 4 jours ?” Finalement, les équipes se sont rendu compte en les faisant qu’elles y arrivaient sans problème. Chaque équipe était responsable de son planning.
Et la troisième crainte était managériale : “si je suis absent, toutes les semaines, le jour où je ne serais pas là, mon équipe ne va rien faire.” C’était juste un problème de confiance dans les équipes. Et d’ailleurs je leur ai répondu “quand tu es en vacances, ils travaillent, ne t’inquiètes pas.”
Laurent De la Clergerie a donc sauté le pas des 4 jours et les équipes ont suivi. Comment l'organisation a-t-elle été repensée ? Quels ont été les impacts positifs et négatifs de ce changement ? Comment ont réagi les investisseurs ? Pour en savoir plus sur la mise en place de la semaine de 4 jours et obtenir des conseils pour l’appliquer, vous pouvez continuer la lecture de cet article.
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Comment mettre en place la semaine de 4 jours ?
Nous avons travaillé sur la mise en place du projet pendant 6 mois. La partie juridique a surtout concerné la gestion de planning. Pour maintenir les salaires et la retraite, nous sommes passés en 32 heures temps plein en augmentant les taux horaires. Sur le fonctionnement, dans chaque service, nous avons créé des binômes. Une semaine sur deux, un salarié à le choix de son jour off, et alterne avec un autre salarié. Nous nous sommes lancés en janvier 2021. Au départ, nous nous étions dit que nous ferions une pause au bout de 3 mois, et qu’on corrigeait tout ce qui ne va pas. Mais en fait, ça a marché tout de suite. Il y a des gens qui ont repensé leur façon de travailler, mais à aucun moment il n’y a eu de grandes réunions. Les salariés ont créé des rythmes entre eux pour s’y adapter.
Est-ce que tu dirais que la culture d’entreprise de LDLC a permis cela ?
La culture se portait bien. L’année précédente, en 2020, nous nous étions inscrits à Great Place To Work pour savoir si nous l'étions. Et en effet, 80% des salariés recommandaient de venir dans l’entreprise. 1 an après, nous avions mis en place la semaine de 4 jours et ce chiffre avait atteint 89%. Le principal point bloquant aujourd’hui, c’est que je suis contre le télétravail à 100%.
Quels sont les points positifs notés suite à sa mise en place ?
#1 L’augmentation du chiffre d’affaires d’une part. L’année où l’on a mis en place les 4 jours, c’était pendant le covid. On a fait 40% de croissance de chiffre d’affaires cette année-là, et ça m’a fait gagner de la masse salariale.
#2 Plus de productivité sur les 4 jours
#3 Une réduction des conflits
#4 Une diminution de l’absentéisme. Avant, quand je me fâchais avec un salarié sur un sujet, cela pouvait être suivi de 15 jours d’arrêt pour charge mentale ou stress. Cela a disparu.
#5 Enfin, concernant les accidents de travail, il y a aussi la notion des accidents de la route pour se rendre au travail. Ils ont été divisé par deux.
# 6 J’ai moins de turnover, et nous passons donc moins de temps à recruter, à former et à intégrer de nouvelles personnes.
Tout ça génère des gains financiers.
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Que font les salariés pendant cette journée off en plus ?
Dans notre société moderne, on se lève, on emmène les enfants à l’école, et on va au travail. À la fin de la journée, elle n’a pas vraiment été vécue. Quand on arrive le samedi, on fait toutes les choses qu’on a pas eu le temps de faire, et le dimanche, on se repose. Quand on rajoute un jour de plus, on retrouve du temps perso, du temps pour s’occuper de soi. On revient donc sans soucis dans la tête et plus efficace pendant ses jours de travail. Aussi, comme on est plus efficace, on ne ramène pas de travail à la maison. C’est très vertueux.
As-tu des chiffres montrant la satisfaction des salariés ?
Au sondage, “quel est votre ressenti suite à la mise en place de la semaine de 4 jours ?”, les retours ont été les suivants :
50% c’est un vrai plus que j’apprécie
35% cela a changé ma vie, du pur bonheur
5% c’est bien mais je n’ai pas trouvé mon rythme encore
5,3% je n’y croyais pas trop mais finalement c’est bien
3% j’ai encore des doutes sur ce que cela peut m’apporter
0,08 % stop, c’était mieux avant
Suite à ce sondage, j’ai cherché les 0,08% et j’en ai trouvé deux sur trois. L’une n’appréciait pas la suppression des 13 jours de RTT, car elle plaçait ces jours sur les vacances scolaires, ce qu’elle ne pouvait plus faire. Et l’autre personne, c’était parce que sa femme travaillait 5 jours et qu’elle estimait que c’était à lui de faire les courses et le ménage pendant son jour en plus. Ce qui ne lui convenait pas.
Quelles sont les erreurs à ne pas faire pour mettre en place la semaine de 4 jours ?
Il y a une erreur que j’ai commise : j’avais mis un jour de télétravail en plus. Mais à partir du moment où il y a 3 jours d'absence par personne, il y a des gens qui ne se croisent plus du tout, ça crée un délitement des relations qui se ressent dans la gestion de la boîte. Si on le met en place pour deux ou trois personnes, les autres vont dire “pourquoi pas moi ?” donc il faut être un peu radical et ne pas le mettre en place du tout.
As-tu pu dégager des limites à sa mise en place ?
Je n’ai pas de turnover. Comme ça se passe très bien, les gens ne partent pas. Comme je le disais, ça à certains avantages en termes de coûts. Mais il faut qu’il y ait de nouvelles idées qui entrent dans une entreprise, sinon on sclérose au bout d’un moment. Nous sommes capables de payer les salaires, donc on ne va pas faire partir des gens. Seulement, il y a un ralentissement dans la boîte.
As-tu perdu des investisseurs ? Quels sont tes conseils pour l’annoncer aux investisseurs ?
Non. Cela a fait peur, mais aujourd’hui c’est un non sujet pour les investisseurs. Certains m’ont fait des remarques comme : “tu ne diriges pas une ONG.” Quant à l’annonce, je ne me suis pas posée la question de la manière dont j’allais la faire, je l’ai fait. Après, tout dépend des personnes qui sont en face. Mais oui, ça fait peur. Quand j’en parle à des économistes, ils pensent que l’équation est impossible. Pour eux, en travaillant 4 jours, on augmente forcément la charge mentale.
4 conseils aux entreprises pour mettre en place la semaine de 4 jours
#1 Se demander : “quel est mon risque maximum ?” Puis, “est-ce que j’y vais ou pas ?”
#2 Faire confiance aux autres : comme les équipes ont géré leurs plannings elles-mêmes, elles se sont mises des contraintes sans qu’on leur en mette. Il faut laisser faire : les gens s’adaptent et constituent leur rythme autour du projet.
#3 Convaincre une seule personne : le.la dirigeant.e. À peu près tout son staff dirigeant va être contre cette décision, donc il faut que le.la dirigeant.e soit convaincu.e.
#4 Faire attention aux cabinets de conseil qui veulent vous accompagner sur la mise en place des 4 jours. Beaucoup proposent ces services, mais peu savent ce qu’est vraiment la semaine de 4 jours. Je dirai donc : “ne vous faites pas accompagner par un cabinet qui n’est pas au 4 jours.”
En quoi ça peut être difficile pour un.e dirigeant.e d’avoir cette façon de penser ?
Beaucoup de dirigeants sont convaincus que parce qu’il y en a un ou deux qui ne sont pas dans les clous, il faut encadrer tout le monde. Alors que pour moi, il faudrait plutôt les ignorer, et s’occuper des autres. Aussi, je vais prendre un cas concret pour illustrer certains blocages. Quand j’ai mis en place les 4 jours, un patron m’a dit : “le jour où je peux, je le fais.” Il était en difficulté pendant la période du covid à ce moment là. L’année d’après, son entreprise est repartie et je lui ai dit : “c’est bon, tu vas pouvoir la mettre en place.” Il m’a répondu : “tout va bien, je ne vois pas pourquoi je changerai quelque chose.” Voilà, il est là le problème.
Ton mot de la fin ?
Si j’en parle, c’est parce que je suis convaincu que si la semaine de 4 jours était plus appliquée, ou toute autre forme de travail permettant aux gens de se sentir mieux d’ailleurs, c’est le pays qu’on changerait.
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