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Sophie, directrice du Quai des Possibles : “C’est la première fois de ma vie que je suis autant alignée”

“C’est la première fois de ma vie que je suis autant alignée”, commence par dire Sophie au début de cette interview. Directrice générale du Quai des Possibles depuis le 1er juillet 2023, elle a le sentiment d’avoir désormais un poste qui coïncide avec ses valeurs profondes. Elle considère que c’est une chance, mais le chemin a été long et sinueux. Elle raconte…

De la scène à la gestion de patrimoine.                            

Ce titre n’est pas tout à fait correct, puisque les débuts professionnels de Sophie, ont été, non pas sur scène, mais dans un commerce. Déjà toute jeune, les vacances avec ses frères et sœurs se résumaient “à travailler dans le magasin de leurs parents”. La relation commerciale est donc pour elle, quelque chose de très naturel. Si elle admet que c’est une compétence qui lui a permis de vivre de nombreuses expériences professionnelles assez incroyables, elle précise pour autant que “ce n’est pas parce qu’on est doué dans quelque chose, que ça nous correspond.” Ce qui plaît à Sophie, c’est le théâtre. De ses 18 à ses 25 ans, elle est comédienne. Inscrite en fac d’histoire, elle n’y va pas. Ses parents n’en savent rien. “Prise dans la section professionnelle du conservatoire d’arts dramatiques de Nantes, je passais mes journées là-bas.” D’abord à Nantes, elle part s’installer à Paris où elle intègre une école de théâtre. Elle faisait des petits boulots en parallèle, pour se rémunérer. “Je pense que j’ai fait 10 ans de théâtre comme j’aurais fait 10 ans de psychanalyse” dit-elle, et lorsque ça n’a plus eu de sens pour elle, elle s’arrête pour étudier l’Arabe Classique. Parallèlement à cette maîtrise d’Arabe, elle est responsable des équipes aux Galeries Lafayette pour Treca, une marque de matelas français haut de gamme. Se décrivant comme une Stakhanoviste, pendant 10 ans, elle ne prend pas de vacances, ni de week-ends, et fait toutes ses études en formation continue. “C’était sportif et au milieu de tout ça, j’ai eu une petite fille.” Elle est ensuite recrutée dans un domaine tout autre : la gestion de patrimoine. “J’avais rencontré le dirigeant du cabinet, c’était une connaissance de mon frère.” Sa femme étant marocaine il tentait d’apprendre l’arabe. 

- “Je n’y connais rien en gestion de patrimoine” lui dit-elle.

- “J’ai essayé d’étudier l’arabe, je n’y suis jamais arrivé, alors la gestion de patrimoine, ça va être de la rigolade pour toi !” répond-t-il.

Elle n’y connaît rien, mais tout l’intéresse et le feeling passe bien. C’est ainsi qu’elle se lance dans un master en gestion de patrimoine à Dauphine. 

“Qu’est-ce que je fais là ?”

Bon, malgré sa curiosité, Sophie se rend vite compte que ce n’est pas tellement son truc la gestion de patrimoine. “Pendant que je faisais le Master, je me demandais ce que je faisais là.” Lorsqu’elle devient conseillère en gestion du patrimoine, ce ressenti est toujours présent. Mais elle a besoin d’avoir un boulot bien payé, une sécurité financière et pense qu’il faut capitaliser sur ces deux années d’effort et d’études à Dauphine. “Je suis une bosseuse, donc je m’investis toujours à fond dans mes boulots. Pourtant un jour, elle se réveille, et là… Plus RIEN. “J’ai dormi 2 jours, mon cerveau s’est débranché. J’avais une pression au niveau des tempes. Je ne mémorisais plus rien.” Dans une fuite en avant désespérée”, son boulot - qui consiste principalement à vendre des assurances vie - ne lui plaît pas, mais elle y va quand même. “Pour la première fois de ma vie, j’ai pris des trucs, j’ai été médicamentée. Première et dernière fois, j’espère. Mais c’était nécessaire. J’ai mis 6 à 8 mois avant de sortir la tête de l’eau.” Reprenant doucement le travail dans le cabinet après cette période de 8 mois, elle sait qu’il faut prendre une décision et partir, l’une des raisons du burn out étant : “l’inadéquation totale entre ses aspirations profondes et ce qu’elle était en train de faire.” 

À la recherche d’une vie sérieuse.

“J’avais enterré ma vie d’artiste et j’essayais à contre cœur de coller de toute force à cette image de vie sérieuse que je voulais dessiner.” Son mari tentait d’obtenir son agrégation pour être professeur. Il fallait subvenir aux besoins de la famille. Comme elle avait beaucoup aimé le droit pendant ses études, elle intègre en équivalence une licence en droit notarial. Elle cherche à ce moment-là un nouveau poste, encore une fois, en parallèle de ses études, et il se trouve que son ancienne responsable chez Treca a peut-être quelque chose pour elle… “Il y avait toujours quelqu’un pour me dire : tu serais bien sur ce poste. En fait, je collais systématiquement à la projection que l’on se faisait de moi, mais j’oubliais mes aspirations.”

Mise en relation avec la direction de la Maison du Convertible, elle a un véritable coup de cœur pour eux lors de l’entretien et reçoit à peine rentrée chez elle une très belle proposition. Elle accepte et travaille 7 ans pour cette entreprise avec beaucoup de plaisir mais finit par s’ennuyer. À la suite de cette expérience, c’est de nouveau via la bouche à oreille que Sophie trouve un travail. Encore en poste à la Maison du Convertible elle est chassée par le leader du portail électrique en France Mister Menuiserie et devient directrice des achats. Au bout de deux ans, elle décide de quitter la société, ne s’y retrouvant pas dans les valeurs de l’entreprise.

Monter sa boîte

“Ensuite, j’ai monté ma boîte, un site de vente de meubles. Ce que je ne savais pas, je l’ai appris. C’était 3 années d’adversités ininterrompues, il y a eu le covid, la guerre en Russie.” Résiliente, Sophie se battra pour faire tenir son entreprise. Lorsqu’elle commence, elle s’installe dans l’espace de coworking du Quai des Possibles. “J’étais l’une des premières coworkeurs.” C’est comme ça qu’elle rencontre Laurence, la fondatrice du lieu. Malgré un bon chiffre d'affaires, les charges de son entreprise sont immenses, et la déperdition de chiffre l’amène à mettre sa société en redressement judiciaire. “Je ne me payais plus depuis 6 mois, j’étais rongée par le stress, j’étais à deux doigts de refaire un burn out.” Elle licencie, la mort dans l’âme, ses salariés, et se réjouit bientôt de les savoir tous recrutés dans un nouveau poste. Elle se pose aussi la question de la levée de fonds pour relancer sa boîte, mais le jour de la mise en ligne de la levée elle renonce à le faire à la grande surprise de la société en charge de la captation financière. Prendre l’argent des épargnants dans ce contexte économique incertain est beaucoup trop risqué. Elle refuse de vivre avec cette angoisse et de prendre ce risque irresponsable et assume sa difficile décision. Le jour où elle décide de liquider sa société, elle envoie un mail à toutes ses connaissances pour les tenir au courant. Et elle leur dit à la fin du mail “comme vous le savez, le chef d’entreprise n’est pas protégé, donc si vous entendez parler de quelque chose, n’hésitez pas à me mettre en relation.” Quelques minutes plus tard, elle reçoit un message de Laurence, du Quai des Possibles, qui lui propose un déjeuner.

“Agir rend heureux.”

Si vous passez par le Quai des Possibles, un tiers-lieu pour une transition écologique et solidaire, à Saint-Germain en Laye, vous pourrez voir cette phrase dès l’entrée “Agir rend heureux.” Sophie connaît bien le lieu, notamment l’espace de coworking dans lequel elle travaillait au lancement de son entreprise. Quand Laurence lui propose un déjeuner, après la liquidation de sa société de meubles, c’est pour lui dire qu’elle souhaite se dégager de l’opérationnel et se concentrer sur le développement stratégique. “Plus elle me parlait, plus ça faisait sens” se remémore Sophie. Au sein du lieu, l’espace de coworking est un endroit où sont accompagnés des coworkeurs entrepreneurs dans leurs projets. Ce sont essentiellement des projets à impact. Il y a aussi un incubateur pour porter des projets pour la région, les collectivités, Pôle Emploi ou encore diverses Fondations. Le lieu s’adresse également à des personnes éloignées de l’emploi ou en reconversion. Via le parcours Transition pro à IMPACT, des personnes en quête de sens, qui veulent se réaligner avec leurs valeurs profondes, sont aussi accompagnées pour s’orienter vers l’impact. “On les met en relation avec des acteurs de l’impact, on leur fait rencontrer tous ces gens incroyables ayant accompli des transitions professionnelles spectaculaires et réussies.”  Des ateliers pour sensibiliser à l’impact sont enfin organisés régulièrement à destination des entreprises et des citoyens. 

“C’est la première fois que je peux donner la pleine dimension de l’ensemble de mes compétences.”

À sa place.

“Ce lieu est incroyable, à titre personnel, je suis en train de m’éclater. C’est la première fois que je peux donner la pleine dimension de l’ensemble de mes compétences et être en paix avec moi-même.” Malgré son parcours, qu’elle décrit comme douloureux parfois. “Quand tu te retournes, tu te dis que tu as agrégé une expérience et qu’il y a cohérence rétrospective dans la durée et un enseignement que tu peux aujourd’hui délivrer quelque part. J’ai mis un pied dans l’économie à impact et je sais que je n’en sortirai pas.” Le Quai des Possibles, c’était une gare abandonnée dans un espace en friche et le pari de Laurence de monter un tiers-lieu et surtout d’avoir réussi, est selon elle génial. Selon Sophie, “pour respecter la planète, il faut être bien dans sa peau, se respecter soi-même et respecter les autres”. C’est tout ce qu’incarne ce lieu “C’est un endroit de respect d’autrui, de transmission de belles valeurs.” Tout le travail qui est fait autour de l’inclusion, de l'insertion, résonne aussi en elle. “J’ai une conception très unicitaire du monde, je pense qu’on est tous liés, que la dualité est ridicule.” Toutes les tensions, toutes les difficultés, on peut, selon elle, les résoudre à coup d’exemplarité, de valorisation, plutôt qu’en braquant les gens : “ici, c’est ce qu’on essaie de mettre en place. Il y a des gens qui n’en ont rien à faire de l’écologie, qui arrivent aux ateliers du Quai des Possibles via leur entreprise, à reculons parfois.  Puis, en venant, ils comprennent que l’écologie, l’alignement avec la nature, c’est vital et nécessaire à leur bien-être. Ils en ressortent souvent transformés ”

Pour passer à l’action

👉 Se diriger ou se reconvertir dans l’impact avec le programme Transition Pro à IMPACT