La Gen Z ne veut-elle plus travailler ou travailler autrement ?
Selon le Forum Économique Mondial, la génération Z représentera 27% de la population active des pays de l’OCDE en 2025. Souvent incomprise par ses aînés, la génération Z, la gen Z comme on dit, est la première génération née dans le numérique. Pour Elisabeth Soulié, Anthropologue, “c’est ça qui est fondamental pour la comprendre.” Après une longue étude ethnographique auprès des jeunes, Elisabeth éclaire sur les besoins et les attentes de cette génération dans son livre : La génération Z aux rayons X (Les éditions du Cerf). Alors qui est cette gen Z ? Est-ce une bande de flemmards ne voulant plus travailler ? Des jeunes qui ont besoin d’être compris ? À quoi pourrait bien ressembler le futur de l’entreprise ? Voici ce qu'Elisabeth nous en dit…
Quelles sont les caractéristiques communes que vous avez pu identifier chez la gen Z ?
Je travaille sur les imaginaires et les représentations de cette génération Z. C'est-à-dire que j’essaie de comprendre comment dans les premières années de sa vie, elle a construit son “Être au monde” : la relation avec elle-même, les autres et le monde. Pour cette génération, ses imaginaires se sont construits, par, dans, et avec le numérique. Elle vient nous signifier que nous passons dans le monde d’après. Elle a une façon d’être qui nous questionne. Et surtout, elle questionne les schémas de pensée des générations précédentes.
Quelle sont les différences entre le rapport au temps de la gen Z et des autres générations. Et quel impact dans le travail ?
Aujourd’hui, la génération Z pense le temps en termes Kairos et pas Chronos. Elle est immergée dans la notion d’immédiateté, le numérique étant un temps de l’immédiateté. Tandis que la génération Y a connu le report de jouissance, la génération Z ne l’a pas. Elle veut l’instantanéité de ses désirs et elle le peut. Le temps Chronos, c’était un temps linéaire, quantitatif, où tu te projettes dans l’avenir. Tu as des objectifs lointains et tu mets en place des stratégies pour atteindre ces objectifs lointains. Dans le temps Kairos, qui est le temps instantané, réactif, opportun, tu vis plutôt des atomisations de temps présent, qui ont du sens, mais qui sont dans l’instant présent, dans le court terme. Aujourd’hui, on sort donc de la notion de carrière, qui nécessite un temps long, pour aller vers un désir de multiplier les expériences professionnelles.
Quels sont les préjugés qui concernent la gen Z ?
Z pour “zappeurs”. On les appelle les zappeurs, car c’est une génération très instable. Mais plutôt que de parler des préjugés, je préfère la définir : c’est une génération nomade, tribale et affective.
Elle est nomade, car liquide. La génération Z est dans une dynamique des frontières. On a mis en silo le vivant et aujourd’hui, il y a une hybridité : le masculin et le féminin, le réel et le virtuel, la nature et la culture. C’est une nomadité qui va se retrouver dans le milieu professionnel. La génération Y était dans l’équilibre pro/perso, or avec la génération Z, il y a une hybridité des temps, un désir de flexibilité temporelle, spatiale, cognitive. Il y a ce désir de faire des choses perso sur le temps professionnel, comme l’inverse. Ensuite, les réseaux sociaux la rendent Tribale et stimulent son besoin de collaboration, de collectif. Elle interagit en permanence avec ses différentes communautés sur les réseaux, ses tribus affectives, affinitaires, qui lui donnent un sentiment d’appartenance. Enfin, elle a le like, le langage émotionnel avec les émoticônes. C’est ce qui la rend affective. La génération précédente s’est plus construite sur la notion de raison, de rationalité : nous étions des fruits de Descartes. Aujourd’hui, à travers un téléphone portable, on a un rapport plus tactile, sensoriel du monde. C’est la résonance qui leur demande de s'ajuster en permanence avec ce qu’ils vivent et c’est elle qui participe à leur épanouissement.
Quel est son rapport au travail ?
Comme elle pense le temps en termes Kairos, elle veut multiplier les expériences de vie. Elle veut aimer la vie qu’elle mène dans son travail. Elle veut avoir du plaisir, s’épanouir, déployer les multiples intelligences dont elle est porteuse. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle veut faire plusieurs métiers dans sa vie. Elle n’est pas assignée à résidence sur ses identités professionnelles comme personnelles, et même de genre. C’est aussi une génération qui ne supporte plus l’attente,qui n’aime pas la routine, tout ce qui est long et fixe, donc il y a un bore out, de l’ennui dans l’instant présent. Si elle n’est pas stimulée dans une diversité de tâches et de missions, une forme d’ennui s’installe. C’est probablement le point de difficulté de cette génération. Autre chose qui la caractérise dans le travail : cette génération veut contribuer. Elle est née avec le système wiki., les plateformes d’échanges où chacun peut participer et partager, apporter sa pierre à l’édifice. Sur les réseaux sociaux elle à l’habitude de donner son avis, elle peut participer à des discussions. Elle veut donc qu’on la prenne en compte, qu’on l’écoute et pouvoir contribuer dans l’entreprise. Enfin, quand elle se sent bien, elle donne. Comme elle est poreuse au niveau des frontières, si elle se sent bien, elle peut donner beaucoup dans son boulot, même dans le cadre de sa vie perso. Certes, le travail n’est plus central, ce qui est central c’est la vie. Mais le travail participe à sa vie, dans la mesure où il lui permet d'exprimer son potentiel personnel et vital, de s’épanouir.
Quelle est l’importance que la gen Z accorde aux discours des entreprises ?
Les entreprises ont beaucoup de mal à recruter cette génération Z. Il faut dire qu’aujourd’hui cette génération à une force : c’est l'entreprise qui doit entrer en dialogue avec elle pour savoir ce qu’elle vient chercher. Aujourd’hui, l’entreprise doit changer. C’est une génération intuitivement numérique, qui détient beaucoup d’informations. C’est la première génération qui fait du reverse mentoring : qui peut apprendre quelque chose à ses managers. Les jeunes engagés préfèrent les engagements concrets et mesurables. Il y a le discours et les actes. La génération Z se demande tout le temps si c’est congruent.
“Les faire entrer rapidement dans la gouvernance de l’entreprise pour leur donner les moyens de faire changer les choses ?”
La gen Z fait bouger les choses dans les entreprises ? Elle refuse le statu quo ? Ou est-ce une génération, comme les autres, qui va finalement se fondre dans le moule ?
Je pense qu’elle va quitter le moule. Ce qu’elle ne fait pas, c’est qu’elle ne va pas vouloir changer l’entreprise comme la génération Y, en faisant par exemple de l’intrapreneuriat ou en entrant dans un conflit gagnant/perdant. Fluide, consensuelle, elle préfère partir, changer d’entreprise, intégrer un autre écosystème. Quand elle n’est pas heureuse, soit elle part, soit elle fait du quiet quitting. Aussi, les jeunes de la gen Z ne veulent pas trop prendre de responsabilités, puisqu’ils cherchent de la co-responsabilité. D’ailleurs, est-ce qu’une bonne chose ne serait pas de les faire entrer rapidement dans la gouvernance de l’entreprise pour leur donner les moyens de faire changer les choses ?
Peut-on faire un parallèle avec la génération 68 ?
C’est souvent ce qu’on dit mais la gen Z hérite d’un monde désenchanté tandis que les baby boomers avaient tout à construire. On est plus dans une perspective de fin de vie sur terre, plutôt que dans des “lendemains qui chantent “. Les baby boomers étaient portés par des utopies que n’a pas la gen Z. Elle me dit d’ailleurs “on a pas d’utopies. C’est trop lourd à porter”. Le combat climatique pour elle n’est pas utopique, ce sont des actions concrètes, pragmatiques, si petites soient-elles, mesurables dans l’ici et le maintenant.
Finalement, génération désenchantée ou engagée ?
Engagée. Par ses valeurs elle est capable de réenchanter le monde : par ses valeurs humanistes, altruistes, collectives, voire féminines. Est-ce qu’elle aura le temps, où est-ce que la suivante, la génération Alpha le fera ? Pour être très honnête, je pense que la gen Z est une génération transition, à cheval entre deux mondes. Elle me le dit : “on a été élevé avec des schémas de pensée du monde d’avant, or on est déjà dans le monde d’après.”
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